En 2025, alors que les pénuries de main-d’œuvre persistent dans de nombreux secteurs, une réalité s’impose: ce n’est plus le sourcing qui fait défaut, mais l’orientation stratégique des talents.

Du BTP à l’hôtellerie-restauration, de l’industrie au médico-social ou au numérique, les recruteurs cherchent des profils qui ne viennent pas. Il est temps de changer de paradigme : plutôt que de parler pénurie, parlons orientation, attractivité et reconnaissance des compétences.

Des métiers qui recrutent, mais qui n’attirent pas

Le BTP manque cruellement de bras. Selon la Fédération Française du Bâtiment, plus de 100 000 postes restent à pourvoir fin 2024.
Pourtant, ces emplois offrent des perspectives de stabilité et des rémunérations solides.

Pourquoi cette désaffection? Parce que certains métiers souffrent encore d’une image obsolète, que l’orientation scolaire valorise plutôt les filières générales, et que les jeunes connaissent mal les débouchés techniques ou manuels.

Enquête BMO 2025 : les 5 métiers les plus « en tension »

1️⃣ Aides à domicile et aides ménagères (secteur médico-social)
2️⃣ Couvreurs / zingueurs
3️⃣ Techniciens médicaux et préparateurs
4️⃣ Serruriers / métalliers
5️⃣ Développeurs web

Source : France Travail, BMO 2025

Il y a également d’autres métiers qui connaissent lapénurie:

  • Géomètres
  • Techniciens et agents de maîtrise en maintenance électrique, électronique et automatismes
  • Régleurs
  • Carrossiers automobiles
  • Techniciens et agents de maîtrise en installation et maintenance en froid et conditionnement d’air.

Une orientation trop souvent déconnectée des besoins réels?

Le système éducatif continue de privilégier les filières générales. En 2024, selon une étude du Céreq, seuls 9 % des jeunes sortants du système éducatif détenaient un CAP ou un BEP, contre plus de 50 % diplômés du supérieur.

Pourtant, les jeunes qui s’orientent vers les filières professionnelles ont un taux d’insertion plus élevé dans certains secteurs en tension. Le Céreq montre par exemple que les diplômés d’un Bac pro Industrie ou BTP trouvent un emploi en moins de 6 mois, bien plus rapidement que la moyenne nationale.

Comparaison internationale: une meilleure intégration ailleurs ?

En Allemagne ou en Suisse, les systèmes d’apprentissage sont fortement intégrés au marché du travail. L’OCDE observe que les pays qui investissent dans l’alternance et les filières techniques ont des taux de chômage des jeunes inférieurs à 8 %, contre plus de 17 % en France en 2024.

Source : OCDE, Éducation et compétences 2024

Comparatif France 🇫🇷 vs Allemagne 🇩🇪
Apprentissage et insertion des jeunes (2024)

France FR

  • 🎓 Taux de chômage des jeunes : 17,2 %
  • 🛠️ Jeunes en apprentissage : 7 %
  • 📉 Part des CAP/BEP : 9 %
  • 🤝 Taux de satisfaction employeurs : 48 %

Allemagne DE

  • 🎓 Taux de chômage des jeunes : 7,6 %
  • 🛠️ Jeunes en apprentissage : 51 %
  • 📈 Part des CAP/BEP : 35 %
  • 🤝 Taux de satisfaction employeurs : 74 %

Source : OCDE, Céreq (2024)

Former et anticiper les mutations du travail

Pour répondre aux tensions du marché, il faut créer davantage de passerelles entre le secteur de l’éducation et le monde de l’entreprise:

  • Favoriser les stages, immersions et interventions d’entreprise, qui permettent d’appréhender le monde du travail et de découvrir les différentes professions
  • Valoriser les filières techniques dès le collège, notamment auprès des jeunes filles, qui sont encore sous-représentées dans les écoles d’ingénieurs
  • Repenser les indicateurs de réussite scolaire: insertion plutôt que longévité académique
  • Favoriser une ré-orientation éventuelle dès le lycée, à travers des parcours plus flexibles.

Encourager les vocations sans casser les rêves

Répondre aux tensions du marché de l’emploi ne signifie pas pour autant briser les rêves des jeunes. Si certains souhaitent devenir artistes, musiciens, acteurs, instituteurs ou journalistes, ils doivent être encouragés et accompagnés à développer leurs talents dans les meilleures conditions. Notre société a besoin de chacun, y compris dans les domaines culturels, éducatifs et créatifs qui nourrissent le lien social et la vie démocratique.

Le défi n’est donc pas de choisir entre passion et pragmatisme, mais de construire un équilibre entre aspirations personnelles et besoins collectifs.
Il faut également faire évoluer la perception culturelle et sociale de certains métiers peu valorisés et pourtant essentiels.

Recourir aux stagiaires et apprentis de manière responsable

Le développement de l’alternance et des stages constitue un levier puissant pour permettre aux jeunes d’accéder au marché du travail.
Mais il soulève aussi des débats, notamment sur le risque d’utilisation abusive des stagiaires et apprentis comme main-d’œuvre à bas coût.

Le cadre légal des stages en France

En France, le recours aux stagiaires est strictement encadré :

  • Obligation de gratification : tout stage supérieur à 2 mois (consécutifs ou non) au sein d’une même année scolaire doit être rémunéré (gratification minimale fixée à 4,35 € bruts par heure en 2025). Ce calcul s’applique à un temps plein de 154 heures mensuelles (soit 22 jours travaillés, 7 heures/jour).
  • Convention de stage obligatoire : tripartite (établissement, étudiant, entreprise), elle définit les missions, la durée et les objectifs pédagogiques (Article L124-1 et suivants du Code de l’éducation).
  • Durée maximale : 6 mois par année d’enseignement dans une même entreprise (Article L124-5 du Code de l’éducation).
  • Encadrement : l’entreprise doit désigner un tuteur chargé d’accompagner le stagiaire.

L’apprentissage et le contrat de professionnalisation

Contrairement aux stages, les contrats d’apprentissage et de professionnalisation sont de véritables contrats de travail (Articles L6221-1 et suivants du Code du travail pour l’apprentissage).

  • Rémunération obligatoire : entre 27 % et 100 % du SMIC selon l’âge et l’année d’exécution du contrat.
  • Formation réelle : l’entreprise doit désigner un maître d’apprentissage ou tuteur qualifié, chargé de transmettre un savoir-faire (Article L6223-8 du Code du travail).
  • Durée : de 6 mois à 3 ans, avec alternance entre entreprise et centre de formation.

Quelques dérives observées

Certaines entreprises ont recours à des pratiques qui posent question:

  • Remplacer un salarié par une succession de stagiaires ou apprentis
  • Confier aux stagiaires des missions correspondant à un emploi permanent
  • Utiliser les alternants comme une main-d’œuvre qualifiée à moindre coût, sans leur offrir un véritable parcours formatif

La loi prévoit des sanctions en cas de recours abusif (amendes administratives, nullité du stage ou du contrat). Mais dans les faits, les contrôles restent limités.

Un enjeu de crédibilité

Pour que l’alternance et les stages soient de vrais leviers d’orientation et non un outil d’exploitation, il est crucial que les entreprises respectent la dimension pédagogique de ces dispositifs. En investissant dans la qualité de la transmission, elles sécurisent aussi leur image employeur.

L’harmonisation des diplômes, un levier sous-exploité

Le manque de reconnaissance des qualifications étrangères freine aussi le recrutement dans les métiers en tension.
Exemple emblématique : la santé. En 2023, la France comptait plus de 3 000 médecins diplômés hors UE en attente d’autorisation d’exercice, selon l’Onisep.

Une harmonisation européenne plus systématique des diplômes professionnels et techniques faciliterait l’intégration de talents formés à l’étranger, notamment dans les domaines médical, paramédical ou de l’ingénierie.

Les entreprises doivent devenir actrices de l’orientation

Recruter ne peut plus être une démarche passive. Les entreprises peuvent :

  • Nouer des partenariats avec des lycées pros ou des CFA
  • Co-construire des modules pédagogiques ou ateliers métiers
  • Participer aux salons et forums d’orientation
  • Former leurs RH à parler métier de manière vivante et inspirante

L’orientation : un levier d’attractivité pour l’employeur

Une entreprise qui investit dans l’avenir des jeunes construit aussi sa réputation :

  • Elle gagne en visibilité et en attractivité auprès des nouvelles générations
  • Elle inspire confiance et engagement, rconsolidant une image employeur positive
  • Elle se positionne comme acteur sociétal responsable

Exemple : Le programme « Tour de France de nos industries » de Bpifrance sensibilise les collégiens et lycéens aux opportunités du secteur industriel via des visites terrain.

Conclusion : pour recruter demain, il faut savoir orienter aujourd’hui

Recruter dans les métiers en tension ne se résoudra pas avec plus de budget ou de plateformes. Il faut aller là où le vivier se crée : dès le collège, dès la formation initiale.

Orienter mieux, plus tôt, pour ouvrir de nouvelles perspectives aux jeunes, leur faire découvrir de nouvelles pistes professionnelles possibles. Impliquer les entreprises dans la construction de l’avenir, à travers la formation, l’accueil, les échanges, la construction de partenariats pédagogiques. C’est une voie envisageable pour sortir durablement de la pénurie.

Pour préparer l’avenir et pouvoir recruter demain, il faut susciter des vocations et former les jeunes aujourd’hui!

Sources et ressources complémentaires